Egaré

Début 1980

Très cher Armand,

C’est avec le plus grand chagrin que j’ai appris la mort de votre père à toi et à Germaine. Tous l’aimaient. Ils, nous avions raison ; mon beau-frère était vraiment d’une rare gentillesse. Quand ma sœur l’a enfin accepté comme mari, j’en ai été très heureux. Depuis mon retour de la guerre, les liens avec mes sœurs ne sont plus ce qu’ils avaient étés. Tu t’en doutais, ma sœur vous a eu pendant mon absence et je ne l’ai plus trop reconnue.

Vous m’êtes arrivés comme des météoroïdes, c’est peut-être pour cela que moi, le champs, n’ai jamais osé rattraper le temps, ni vous (r)assurez de mon affection. Si la guerre nous a changés, si plus rien ne pourrait plus jamais être comme avant, ma sœur vous a bien élevés et vous voilà déjà tellement grands. Vous êtes grands, adultes, mais pour notre malheur, désormais orphelins.

Je me plains. Mais si je t’écris cette lettre, c’est en réalité surtout pour t’encourager. Tu avais l’air si abattu, à l’enterrement ! Tu m’as fort ému ! Alors, je me suis rattaché à ce que je connaissais : mon expérience m’a appris que malgré la guerre (je t’en parlais plus haut), malgré la douleur, malgré la mort, des étincelles de vies réclament sans cesse notre attention. Regarde, regarde autour de toi : tu les vois ? Ces deux petites filles par exemple, tes nièces : elles ont besoins de vous, de toi ! Cécile est comme « folle » de toi et Marie-Sophie, mais oui, elle vient de perdre son parrain ! Elle n’avait déjà plus de marraine ! Pense un peu: elle n’a pas 10 ans ! Et puis, il y a Marc-Henry, tu te souviens, n’est-ce pas ? Il t’attend pour fêter sa solennelle !

Alors voilà : si toi, tu étais mon étrangeté, mon astéroïde, ils devraient être tes étoiles. En espérant que la vie te reprendra, je te le répète et te le répéterai encore : une étoile ne fait jamais qu’une seule étincelle, mais prends soin de toi, prends soin d’elles ; elles t’emmèneront alors dans leur sillage, j’en suis persuadé.

Je te laisse maintenant, la soupe de 17 heure vient d’arriver. Ton père m’aurait conseillé de la goûter toujours deux fois. Bois ton vin mais sans la lie.

Affectueusement, ton oncle retiré.

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